Mon nom de famille, c'est Romanev-Dumas
Et je me nomme Elena Olympe Paloma
Même si parfois, vous entendrez un ou deux malins s'amuser à m’appeler Ely, Lena ou encore Romane.

Si vous voulez tout savoir, j'ai 21 ans, étant née le 2 août 1990.
D'un point de vue physique, je fais 1.68m et 55kg.
Je suis passionnée par peu de choses ; je ne suis pas une grande sportive, même si j'apprécie mon petit jogging du dimanche matin. En revanche, côté activités, j'aime faire la fête, rencontrer de nouvelles têtes et voyager. Mais, mes études me prennent beaucoup de temps, et je dois souvent renoncer à ces petits hobbies. Mais d'un autre côté, je dois avouer que j'ai une peur bleue des orages. J'ai récemment découvert pour quelles raisons, mais la foudre me terrorise toujours autant.
Je suis Célibataire, et cela me convient parfaitement. Dans l'immédiat, je ne tiens pas à être en couple. Je suis ici pour étudier, et non pour me prendre la tête avec des histoires de cœur.
J'ai également un frère cadet. Quant à mes parents, je ne connais que ma mère ; mon père est décédé alors que ma mère était enceinte de mon frère, et je n'ai pratiquement aucun souvenir de lui. En revanche, je m'entends plutôt bien avec ceux qui me restent ; mon frère et moi nous disputons souvent pour des broutilles, comme dans la plupart des familles j'imagine, et j'ai un grand respect pour ma mère qui a su nous élever seule.
Pour finir, je peux vous dire que j'étudie dans le domaine des Sciences Infirmières, option que j'ai choisie, cela me plait.

J'ai connu McGill ... il y a quelques années de ça ; bien entendu, tout le monde au Québec connaît cette université mais, je ne m'y suis intéressée qu'au cours de ma dernière année du secondaire. Personne dans ma famille, n'avait fréquenté McGill avant moi ; j'ai donc du me renseigner moi même, et ai ainsi découvert le programme de sciences infirmières ; je crois bien que c'est à partir de ce moment là que l'idée d'intégrer cette université m'est apparue comme une évidence.. Et j'ai décidé de m'y inscrire parce que ... Bien que la notoriété de McGill ne soit plus à faire, je ne m'y étais jamais vraiment intéressée avant d'entrer dans le secondaire. Mon niveau scolaire n'étant pas excellent à l'époque, je dois avouer que m'inscrire dans une université ne faisait pas réellement partie de mes projets. Mais, lorsque j'ai appris que l'on y proposait un programme en sciences infirmières, j'ai commencé à m'y intéresser de plus près.

Et finalement, je fais déjà partie des McGill's Students. Dans l'absolu, aucun groupe "spécifique" ne semble me convenir. Par conséquent, je fais partie des McGill's Students, comme la plupart des étudiants du campus.

Dune du sud, septembre 2000.
ma seule liberté est de rêver, alors je rêve de liberté.

Perchée sur le haut d’une falaise, la maison de bois blanc semblait isolée du reste du monde. De ses fenêtres closes, s’échappait un faible faisceau lumineux, malgré l’heure tardive. Au delà des vitres, rendues presque opaques par cette nuit sans lune, se tenait une petite fille d'une dizaine d'années. Ses yeux céruléens scrutaient, à travers la pénombre, un océan agité par de brusques rafales de vent ; les déferlantes s'abattaient violemment sur le rivage, sous les grondements d'un orage qui semblait s'approcher de la petite île.
Un éclair vint brusquement zébrer la voûte azurée de sa lumière blanche. Elena sentit alors un frisson remonter le long de son échine, la paralysant quelques instants. Elle connaissait bien cette sensation, de feu et de glace à la fois, qui gagnait son corps dès que le temps se faisait orageux. A chaque coup de tonnerre, sa respiration se faisait irrégulière et haletante, comme si sa trachée refusait de recevoir davantage d’oxygène.
Ces crises d’angoisse, nommées ainsi par sa mère, apparaissaient régulièrement chez la petite, lorsque la foudre illuminait le ciel assombri de ses déchirures, dans un bruit sourd et rude. Paradoxalement, elle était attirée par ce phénomène naturel ; elle ignorait pour quelles raisons mais, à chacune de ses apparitions, des images floues accompagnaient le flash des éclairs. L'enfant était véritablement intriguée par ces courtes illusions ; c'était comme si elle revivait un instant de son passé, instant que sa mémoire avait laissé filer. Mais, sa mère ne s'inquiétait guère de ces "visions" ; nul ne pouvait parfaitement se souvenir de ses premières années d'existence. Néanmoins, Elena aimait se persuader qu'elle avait une histoire hors du commun ; elle serait une princesse amnésique, cachée sur une île pour que personne ne puisse lui faire du mal. Ou bien, elle serait issue d'une civilisation inconnue du reste du monde et serait sur Terre pour prévenir une menace ...
Il était difficile de croire qu'une si grande imagination puisse tenir dans un si petit être ; elle était de ces enfants rêveurs et tête en l'air, prêts à croire l'inimaginable tant que cela leur permettait de s'évader, l'espace de quelques instants.


Au plus noir de la nuit ...
n’as-tu jamais fait un de ces rêves qui ont l’air plus vrai que la réalité ? si tu étais incapable de sortir d’un de ces rêves, comme ferais-tu la différence entre le monde réel et le monde des rêves ?

Je marche dans la brume, le souffle court, mon cœur cognant violemment dans ma poitrine. Je m'écorche bras et jambes à mesure que nous avançons, trébuchant à plusieurs reprises, sur des racines. Mais on ne peut pas s'arrêter ; le temps presse et la route est longue. Nous empruntons un sentier boueux, et je manque de m'effondrer. Alors, un homme m'attrape par la main, et me guide à travers le chemin glissant. Je sens mes jambes se dérober sous mon poids, et les larmes me montent aux yeux. Je ne vais pas y arriver. Nous n'allons pas y arriver. Une femme s'approche de moi ; son visage semble serein, mais son regard trahit son inquiétude. « Давай ! Уже недалеко ! » me dit-elle, un sourire rassurant dessiné sur les lèvres. J'inspire profondément, et lui emboîte le pas. Je me demande pourquoi je suis partie de la maison, pourquoi je me suis aventurée dans ces bois sombres et effrayants, pourquoi maman ne m'a pas accompagnée en voiture comme elle le fait d'habitude. Je leur pose la question, mais ils semblent de pas m'entendre. Combien sommes-nous à marcher ici, d'ailleurs ? Deux, trois, huit ? Je peine à voir mes pieds, tant le brouillard est épais. Je ne parviens pas non plus à distinguer combien de personnes sont à mes côtés. Il fait froid, terriblement froid. Mes doigts, paralysés par le froid, me font horriblement souffrir ; je tente de les réchauffer, mais en vain. Soudain, c'est comme si tout l'oxygène avait disparu ; je ne parviens plus à respirer, et ma gorge est douloureuse. Puis ce sont mes yeux ; ma vue se brouille, et mes pupilles brûlent. Je ne vois plus rien. Je commence à paniquer, à appeler, mais aucun cri ne sort de ma bouche, tant ma voix est étouffée par le brouillard. Je sens tout mon corps faiblir, et je sais que je n'arriverai pas à l'orée du bois. Une nouvelle fois, je tente d'appeler à l'aide mais, je m'effondre sur le sol. Mes paupières sont lourdes et je tremble de froid. Mes yeux se ferment doucement, m'abandonnant à cette brume des enfers.




Dune du sud, avril 2004.
il y a bien les souvenirs, mais quelqu'un les a électrifiés et connectés à nos cils, dès qu'on y pense on a les yeux qui brûlent.

Lorsque l'adolescente ouvrit les yeux, le soleil était déjà haut dans le ciel. D'un geste peu habile, elle tâtonna la table de chevet pendant plusieurs secondes, avant que sa main ne se pose sur un réveil. 11:23. Elle s'étira de tout son long, cherchant à atteindre le sommier du lit de la pointe des pieds, puis se décida enfin à se lever. Ses cheveux blonds étaient ébouriffés, plusieurs mèches s'échappant du haut de son crâne. Son teint pâle et sa mine fatiguée laissaient à penser que sa nuit avait été courte.
Elena quitta la chambre et se rendit dans la cuisine ; comme elle s'en était doutée, elle était seule dans la maison : sa mère partait travailler dès l'aube, et son frère était certainement à un de ses entraînements. Son père ? Il les avait quittés plusieurs années auparavant ; un accident de la route l'avait emporté dans l'autre monde, laissant sa femme et ses enfants livrés à eux mêmes. Mikhaïl Nicolaïevitch Romanev était commandant dans l'armée russe. Il avait rencontré Ève Dumas, jeune médecin originaire de Québec, lorsque celle-ci s'était rendue en mission humanitaire au Moyen Orient. Pas plus tard que l'année suivante, ils s'étaient dit oui.
La jeune fille n'avait que très peu de souvenir de son paternel ; il était d'ailleurs très étrange qu'elle maîtrise parfaitement sa langue, alors qu'elle n'avait que cinq ans à sa mort. En effet, Elena semblait bien plus à l'aise avec la langue de Pouchkine, qu'avec celle de Molière, bien qu'elle ait grandi auprès de personnes dont le français était la langue maternelle. D'ailleurs, sa mère la reprenait sans cesse lorsqu'elle parlait en russe ; elle n'eut su dire pourquoi, mais Ève semblait ne pas apprécier que sa fille s'exprime davantage dans l'idiome de son père, que dans le sien.
L'adolescente se glissa sous la douche, espérant ainsi gagner l'énergie qui lui faisait défaut en cette fin de matinée. Elle enfila des vêtements qui traînaient sur le fauteuil de son bureau, et quitta la maison. L'air était doux, voire frais, pour cette journée de printemps ; les rayons du soleil venaient cependant réchauffer les terres, séchant également les cheveux encore humides de la jeune fille.
Elena Romanev-Dumas était une adolescente ordinaire ; elle suivait des cours de premier cycle, en deuxième secondaire, dans le seul établissement de l'île. Elle n'était ni surdouée, ni cancre, mais une élève simple, et sans histoires.Elle n'était pas non plus une personne populaire ou impopulaire ; elle se moquait bien de savoir quel individu il fallait fréquenter pour appartenir à une quelconque élite sociale. Une poignée d'adolescents seulement pouvait se vanter de faire partie de ses amis ; méfiante depuis son plus jeune âge, Elena n'accordait pas facilement sa confiance, si bien que rares étaient ceux qui avaient la prétention de dire qu'ils la connaissaient.
Alors qu'elle se dirigeait vers le centre-ville, de violents vertiges vinrent l'assaillir. Elle s'immobilisa quelques instants, s'assurant qu'elle ne s'effondrerait pas en cours de route.
Sa fatigue grandissante en était sans doute la cause ; depuis quelques temps, ses nuits semblaient se raccourcir. En effet, cela faisait plusieurs mois que ce rêve venait la hanter ; ce rêve où elle avance dans une forêt sombre, et s'étouffe avant de s'évanouir. Si, autrefois, il n'apparaissait que de temps en temps, depuis le précédent hiver, il se faisait de plus en plus présent. Elle n'avait encore jamais osé en parler à sa mère, de peur que celle-ci ne prenne la chose trop au sérieux. Mais, Elena semblait réellement s'en préoccuper, même si elle feignait l'indifférence.


... Au cœur de l'horreur.
si tu ne sais pas où tu vas, souviens-toi d'où tu viens.

Au sommet d'une des collines qui dominent la ville, je regarde en bas ; le trafic est perturbé à cette heure du jour, et les travailleurs se pressent dans les rues, serviette à la main pour les uns, et bleu de travail pour les autres. Je m'amuse à observer cette fourmilière géante qui semble s'éveiller dès le lever du jour. Le ciel est clair, mais l'air particulièrement froid ; l'herbe est recouverte d'un épais manteau blanc, que quelques bourrasques glaciales viennent animer par moment. Seul mon visage semble souffrir des allées-venues du vent ; le reste de mon corps est comme imperméabilisé à tous les caprices de la météo.
Tandis que je contemple la ville enneigée, je sens une présence dans mon dos ; je me retourne et vois un jeune garçon à quelques mètres de moi. Je le reconnais et m'approche de lui en souriant. Il amasse un petit paquet de neige et le jette dans ma direction. Je ferme les yeux, et sens un immense frisson parcourir l'ensemble de mes muscles, m'immobilisant quelques secondes. Lorsque j'ouvre les yeux, le garçon rit aux éclats et je l'imite. A mon tour, je lance une poignée de cette poudre de glace, qu'il reçoit dans la figure. Je le connais bien. Nous nous amusons souvent ensemble quand il n'y a pas école.
Nous continuons cette activité ludique, quand un bruit sourd se fait entendre. Nous nous arrêtons, cherchant à savoir d'où il pouvait venir. Soudain, une lumière aveuglante m'éblouit ; pendant quelques secondes, je ne vois plus. J'appelle mon camarade de jeu, mais il ne me répond pas. Et, alors que la vue me revient, un brusque tremblement du sol me fait perdre l'équilibre. Je sens les battements de mon cœur s'accélérer. J'ai peur. C'est comme si la terre se dérobait sous mes pieds. Le bruit s'estompe, mais j'ai toujours ce bourdonnement dans les oreilles. Je parviens néanmoins à me relever et cherche le garçon qui était avec moi. En vain. Je suis seule et perdue, au milieu de cette étendue blanche, désormais maculée de rouge.

Dune du sud, novembre 2006.
tu prends la pilule bleue, l’histoire s’arrête là, tu te réveilles dans ton lit, et tu crois ce que tu veux. tu prends la pilule rouge, tu restes au pays des merveilles et je te montre jusqu’où va le terrier.

« Ely ! Il y a du courrier pour toi ! » dit Ève, en examinant les différentes lettres qu'elle venait de sortir de la boîte. La jeune fille la rejoignit dans la pièce principale, saisissant l'enveloppe qui lui était destinée. Un bref coup d’œil lui suffit pour connaître sa provenance ; son visage se crispa et sa bouche devint brusquement sèche. Remarquant le changement d'expression de sa fille, Ève posa son regard, d'un air inquiet « Ça va, chérie ? ». Elena, prenant alors conscience qu'elle risquait d'être démasquée, leva les yeux vers sa mère « Oui, oui ! Je pense que c'est la réponse pour ma demande d'inscription au Cégep. » finit-elle par lâcher, un faible sourire aux lèvres, se voulant rassurante. Sans attendre de réponse de sa part, elle prit sa précieuse lettre et retourna s'enfermer dans sa chambre.
Du haut de ses seize printemps, Lena -comme l'appelaient ses amis- était une ravissante jeune fille ; elle avait conservé sa longue chevelure d'or et son doux visage angélique. Son naturel était sans doute son plus grand atout physique ; il lui arrivait, comme la plupart des adolescentes de son âge, de se maquiller, mais de manière raisonnable. La simple idée de s'afficher comme pot de peinture la rebutait. Dans sa dernière année de secondaire, elle souhaitait d'intégrer le cégep des Îles de la Madeleine, situé au cœur de l'archipel. En effet, la demoiselle envisageait de devenir infirmière. Au départ, son objectif était de devenir pédiatre, mais ses résultats scolaires ne le lui permettaient pas. Ainsi, elle s'était réorientée vers une autre profession du milieu, et espérait pouvoir, un jour travailler auprès d'enfants. Mais, pour l'heure, ses ambitions professionnelles n'étaient pas son principal sujet de préoccupation.
Une fois dans son antre, Elena s'assura d'avoir parfaitement fermé la porte ; elle tourna la clef dans la serrure à plusieurs reprises, avant de s'asseoir sur son lit. Son cœur battait la chamade, et sa respiration s'était accélérée. Cette simple enveloppe de papier recyclé renfermait la réponse à toutes ses questions. Mais, alors qu'elle s'apprêtait à en dévoiler le contenu, l'hésitation la gagna ; si elle ne l'ouvrait pas, sa vie reprendrait son cours et personne n'en souffrirait. Cependant, cela l'amènerait à douter pour le restant de ses jours. Tandis que, si elle choisissait de l'ouvrir, elle saurait la vérité.
La jeune fille resta immobile pendant de longues minutes, pesant le pour et le contre de ce terrible dilemme. Elle devait faire un choix ; peu importe ce qu'elle déciderait, sa routine en subirait certainement les conséquences.
Finalement, d'une main ferme et décidée, elle attrapa l'enveloppe et la décacheta. Elle saisit la feuille qui se trouvait à l'intérieur de son pouce et de son index, et la fit glisser jusqu'à l'en extirper complètement. Une fois le papier entre ses mains, elle ne le déplia pas immédiatement. Elle prit une grande inspiration et ferma les yeux avant de se lancer.
A cet instant, Elena ne savait pas ce qu'elle souhaitait y voir écrit. Elle était persuadée que toutes ces images qu'elle voyait en rêve étaient, en réalité, des souvenirs refoulés ; mais si elle s'était trompée ? Si l'enfant qui s'y trouvait n'avait rien à voir avec elle, cela signifierait que sa famille lui a toujours dit la vérité. Et, si tel était le cas, elle s'en voudrait d'avoir douté d'elle.
Mais elle ne pouvait plus rester dans l'ignorance. Elle déplia doucement la feuille, et commença à chercher du regard, l'information qui l'intéressait. Ses yeux s'arrêtèrent sur un chiffre, et tout son corps se figea. La vérité était là, sous ses yeux.






Grozny, février 2008.
c'est ainsi que nous allons, barques luttant contre un courant qui nous ramène sans cesse vers le passé.

Tout n'est plus que ruine et cendres. Des chars parcourent la ville avec, à leur bord, des militaires de l'armée russe. Un nouveau président vient d'être nommé à la tête du pays, et les tensions semblent quelque peu apaisées.
Emmitouflée dans un manteau épais et chaud, je regarde la capitale tchétchène se reconstruire peu à peu. Ma mère est au volant de la vieille voiture que nous avons louée, et ne dit rien. Dans les rues sont recouvertes de neige, de nombreux habitants cherchent à vivre comme ils le peuvent. La plupart d'entre eux n'ont plus rien ; ils ont perdu leurs proches et leurs maisons durant les conflits.
Nous sortons de la ville, et nous dirigeons vers de plus hauts plateaux. Nous avons roulé sur une trentaine de kilomètres, puis nous sommes arrêtée en bas d'une colline. Ma mère sort et je la suis. Je ne sais combien de temps nous avons marché, exposées aux violentes rafales de ce vent d'hiver, avant d'atteindre notre but. A ce moment là, je ne sais pas encore ce qui m'attends ; mais ma mère sait parfaitement où nous allons.
Elle me devance, mais j'essaie tant bien que mal de la rattraper. Une fois le sol plan, et le sommet atteint, elle s'arrête et m'invite à regarder en bas. Une petite ville, d'un blanc immaculé sous cet épais manteau neigeux, se trouve au cœur de la vallée. Sans le quitter des yeux, ma mère commence son récit.« C'était en février 1995. On m'avait envoyée dans le Caucase en raison de la guerre qui avait commencé quelques mois plus tôt. Ton père, qui avait refusé de combattre les séparatistes, m'avait cependant accompagnée dans cette mission humanitaire. A l'époque, Grozny était à feu et à sang, et ce n'était plus qu'une question de temps avant que les villages alentours subissent le même sort. Ainsi, une partie de l'équipe médicale quitta la ville et se rendit dans les communes voisines pour apporter son aide. Certaines villes étaient pratiquement rayées de la carte suite aux bombardements, et beaucoup avaient déjà perdu femme, mari et enfants. Mais, si certains refusaient de quitter leur foyer, de nombreuses personnes avaient fui les combats, et s'étaient réfugiées dans les montagnes. »
Je ne comprends pas, mais ne dis rien. Je vois ses yeux briller à la lueur du soleil, et devine une larme naissante. « C'est en nous aventurant dans le Caucase que nous t'avons trouvée ; tu errais seule, au milieu des bois, le corps couvert de plaies. Mikhaïl s'est alors approché de toi et a commencé à te parler. Tu ne disais rien. On pouvait lire la terreur sur ton visage, tant tu étais traumatisée. Puis, nous t'avons emmenée dans cette ville, celle que tu aperçois en bas, dans l'espoir de soigner tes blessures. »
Je ne peux plus parler. J'ai la gorge nouée et la bouche sèche. « Maintenant, suis moi ! » ajouta-t-elle, après m'avoir brièvement regardée. Nous empruntons un petit chemin et avançons sur plusieurs centaines de mètres, avant d'arriver à l'entrée d'un cimetière. C'était un cimetière "naturel" ; des pierres tombales étaient posées sur le sol gelé, mais il n'y avait aucun cercueil, aucune fioriture, seulement quelques croix et des fleurs séchées. Ma mère s'approche de l'un d'entre eux. Sur la pierre, je lis un nom en cyrillique : Алексей Сергеевич Cелёзен, Alekseï Sergueïevitch Seliozen. Celle de la sépulture voisine indique un nom semblable : Людмила Константиновна Селёзена, Ludmila Constantinovna Seliozena. « Qui sont-ils ? » « Tes parents, Elena. Tes parents biologiques. » Je regarde à nouveau les tombes, bouleversée, et sens les larmes me monter aux yeux. « Lorsque nous avons atteint la petite ville, quelques habitants sont venus à notre rencontre. Plusieurs d'entre eux t'ont reconnue. Tu t'appelles, en réalité, Elena Alekseïevna Seliozena, fille d'Alekseï et de Ludmila Seliozen. Tu vivais dans cette ville. Tes parents tenaient un petit restaurant dans le centre, et tu venais souvent pour les aider. Tu étais très jeune, mais tu aimais beaucoup jouer à la grande, avec ton frère jumeau, Nicolaï. Vous étiez inséparables, m'a-t-on dit. » Mon frère jumeau ? Ce garçon avec qui je jouais en rêve ! C'était certainement lui ! « Ils tenaient beaucoup à leur petite entreprise. Mais, lorsque les villes voisines furent attaquées, ils décidèrent de fuir avec vous. Ils n'avaient pas beaucoup d'argent, mais ils voulaient vous protéger tous les deux. Malheureusement, les flammes des bombardements avaient envahi les forêts, et ils n'ont pas réussi à passer la frontière comme ils l'auraient souhaité. » « Et, Nicolaï ! Qu'est-il devenu ? » Elle pose son regard sur moi ; à l'intérieur, je peux lire de la compassion. Je m'avance vers un autre sépulcre, et découvre ce nom. Nicolaï Alekseïevitch Seliozen. Je me laisse tomber à genoux, sentant les sanglots remonter dans ma gorge. Je me souviens à présent ; c'est encore flou, mais je sais que c'est vrai ; Nicolaï n'a pas survécu au bombardement. Lorsque l'on jouait dans la neige, s'il ne me répondait pas, c'est parce que la lumière aveuglante et le tremblement de terre l'avaient déjà emporté. C'est après que ma mère est venue me chercher pour que l'on parte. Kolya n'était déjà plus de ce monde. Je reste dans la neige, à regarder les trois pierres au nom de ceux que j'aimais, et laisse les larmes rouler le long de mes joues rosies par le froid. « Папа, Мама, Коля ... Мне хорошо. Я сейчас живу в Канаде и всё хорошо там. Изучаю в хорошой школе и хочу стать медсестрой. Мне вас недоставало ! Я вас люблю Я вас очень люблю, » Papa, Maman, Kolya ... Je vais bien. Je vis au Canada maintenant, et tout va bien là bas. J'étudie dans une bonne école pour devenir infirmière. Mais vous me manquez. Je vous aime ! Je vous aime très fort !


Montréal, août 2010.
ne cherche pas à faire que les événements arrivent comme tu veux, mais veuille les événements comme ils arrivent.

L'avion se posa sur la piste avec, à son bord, une jeune étudiante originaire des Îles de la Madeleine. Dehors, la température était à peine supportable, tant elle était élevée. L'aéroport de Dorval était noir de monde ; de nombreux étudiants internationaux venaient chaque année dans la métropole québecoise pour intégrer l'une de ses universités, très réputées dans le monde entier. Elena, elle, avait été acceptée dans l'université de McGill pour suivre des études en sciences infirmières, comme elle voulait le faire depuis plusieurs années.
Depuis son retour de Tchétchénie, beaucoup de choses avaient changé ; les relations qu'elle entretenait avec sa mère et son frère s'étaient améliorées et, elle s'était davantage concentrée sur ses objectifs de carrière. Ainsi, elle avait obtenu son diplôme au Cégep des îles, et avait pu intégrer l'université de ses rêves.
Ses origines n'était plus un sujet tabou ; Ève lui avait raconté son adoption, à quel point son père adoptif s'était battu pour réussir à vaincre les problèmes administratifs et juridiques, et combien ils l'avaient aimé dès le jour où ils l'avaient aperçue dans cette forêt. Elena n'était pas une princesse, ni un être issu d'un autre monde. Elle n'était qu'une enfant, autrefois torturée par la violence humaine. Mais, elle refusait d'arborer ce statut de victime. Elle ne serait qu'Elena Romanev-Dumas, étudiante en sciences infirmières à McGill. Et, si pour certains, cet épilogue marque la fin d'une aventure, il n'est que le début de son histoire.