« Vous m'avez mis un D. » « J'en suis conscient. Votre devoir était un massacre mademoiselle DeWitt-Bukater. » « J'ai lu la copie de mon voisin, c'était pire, et il a eu un B. » « Vous n'êtes qu'une petite prétentieuse, voilà tout. » « Pardon ? » « Sortez de ma salle. » Bordel, un D. Une note qu'elle n'avait jamais récoltée de toute sa scolarité. Jamais. C'était une honte totale, et tout ça, à cause de son professeur de politique intérieure, qui l'avait prise en grippe depuis le jour où elle l'avait corrigé à propos d'une fausse information qu'il avait utilisé durant l'un de ses cours. Et étant donné que Mr Delendre n'avait pas apprécié, il se permettait de noter beaucoup plus sévèrement ses examens. Quel con. Sans riposter, lui jetant simplement un regard noir, Aislinn ramassa son sac Fendi posé au sol puis s'éclipsa hors de l'amphithéâtre. Elle irait voir le doyen de l'université, elle ne méritait pas cette note et ne voulait pas d'injustice. Théa avait toujours été une étudiante exemplaire, se donnant au maximum dans tous ses cours ; elle aimait être la meilleure et ne laisserait pas ce D entrer dans ses bulletins. C'était hors de question. De toute manière, on lui avait déjà dit qu’il fallait faire attention avec ce professeur, qui notait selon ses humeurs. Enfin bon, elle réglerait cette histoire une autre fois, car pour l'instant, il était midi, l'heure du déjeuner, et elle avait très faim. Avant de se diriger vers la cafétéria, DeWitt-Bukater prit la direction de sa chambre dans la maison de confrérie des Sirens, histoire de pouvoir se changer. C’était tout elle ça, changer dix fois de tenue par jour. Elle aimait tellement les vêtements que son placard était plein à craquer ; naturellement, lorsque l’on fait du shopping trois à quatre fois dans la semaine, il ne faut pas s'étonner. Troquant son jean slim contre une courte robe blanche Gucci ainsi que des ballerines nouvellement acquises Jimmy Choo, Théa en profita pour actualiser son maquillage, s’appliquant une énième couche d’eye-liner et de mascara noir, puis attacha ses longs cheveux en un chignon négligé, avant de ressaisir son sac sur le lit, puis s’extirper hors du dortoir pour se rendre justement à la cafétéria.

Celle-ci était complètement bondée, pas surprenant étant donné l'heure et Théa dut patiemment faire la queue, comme tout le monde. Lorsque son tour vint au bout d’une dizaine de minutes, la jolie blonde attrapa un plateau puis commença à se servir de salade de crudités, de frites et un steak haché, ainsi qu’une île flottante, puis tenta de se trouver une table vide, ce qui s’avérait être quasiment une mission impossible. Finalement, elle réussit à en dégoter une vers le fond de l’immense salle, et alla s’y installer rapidement avant que quelqu’un d’autre ne la lui prenne. Posant à la hâte son Fendi sur la chaise à côté de la sienne, Aislinn en dénicha simplement son Blackberry à la coque rose, afin de répondre aux messages qu’elle avait reçu, puis s’attaqua en même temps à sa salade, sans réellement prêter attention à la foule autour d’elle. Elle était devenue une experte dans le domaine de manger et pianoter sur le clavier au même moment, y étant habituée. Et dans la mesure où elle se fichait totalement de sa ligne, elle se permettait de manger tout ce qu'elle souhaitait, sans avoir à y faire gaffe. Reposant un instant son portable sur son plateau, la belle blonde saisit le pichet vide sur la table, puis se leva brusquement pour aller le remplir. Si brusquement, qu'elle se heurta contre quelqu'un qui passait par là. Se retenant de justesse à sa table pour éviter de se déséquilibrer et de tomber, Théa esquissa une grimace : pourquoi fallait-il toujours que quelque chose de chiant lui arrive ? C'était pas croyable et gênant, qui plus-est. Se tournant vers la personne en question, la jolie blonde s'apprêta à s'excuser : « je suis vraiment désolée, j'ai pas fais att... » avant de s'interrompre. C'était un jeune homme, brun, avec des yeux qui lui permirent de l'identifier aussitôt. C'était lui, c'était Camille. Elle en était sûre et certaine. Certes, cela faisait bien dix ans qu'elle ne l'avait plus revu, mais cette couleur de yeux, elle ne pouvait se tromper. Ils avaient été de si bons amis lorsqu'ils n'étaient encore que deux gamins, elle était quand même apte à le reconnaître. Alors, à tout hasard, Aislinn ajouta, d'un ton hésitant : « Camille ? » Et si ce n'était pas lui, alors elle n'aurait plus qu'à rentrer sous terre.

« Théa ? Mais enfin, qu'est-ce que tu fais ici ? Pourquoi Montréal ? Je te croyais à Paris ? »

Elle ne s'était pas trompée, c'était bien de Camille qu'il s'agissait, étant donné qu'il la reconnut également, citant même la ville de Paris, où il avait habité lui aussi dix ans auparavant. Devant l'accumulation de questions, Théa esquissa un léger sourire. Et bien. Elle pouvait le confirmer ; il avait bien changé. Elle se rappelait encore le petit garçon qu'elle prenait soin d'écouter, et d'aider quand il avait des problèmes. Elle se souvenait même les jours où elle pansait toutes ses blessures, car il ne pouvait tenir sans se bagarrer avec quelqu'un. Et voilà ce qu'elle découvrait à présent ; un grand jeune homme, très beau de plus. Retrouver Guérin à Montréal, c'était bien la dernière chose à laquelle elle s'attendait, étant donné qu'il était parti de la capitale française sans même dire un mot, sans la prévenir. Il était simplement parti ; et elle n'avait jamais su où. Maintenant, au moins, elle savait. Penchant légèrement la tête sur le côté droit, Théa lui répondit brièvement : « Oui c'est moi... J'ai, hum, décidé de venir étudier à Montréal, tu sais, leur cursus en politique est juste parfait... Tu étudies ici aussi à ce que je vois. »

Elle ne savait pas trop quoi ajouter, surtout qu'elle lui en voulait encore d'être parti comme ça, sans rien lui dire. Après tout, elle avait passé la majeure partie de son enfance avec lui, puis s'était soudainement retrouvée toute seule. Peut-être qu'il avait ses raisons, mais enfin, ce n'était pas une excuse. Reportant de nouveau son regard bleuté sur Cam, elle le fixa comme ça un instant, comme elle avait l'habitude de le faire, avant de continuer, sur un ton calme : « Camille, pourquoi t'es parti comme ça, sans rien me dire ? » Elle s'était d'ailleurs longtemps demandé si elle avait fait quelque chose qui aurait fait qu'il ne lui aurait rien dit, mais rien ne lui était venu en tête. Par la suite, elle avait abandonné. Et dire qu'il se retrouvait dans la même université qu'elle.

Étant donné qu'ils étaient immobiles, plantés au beau milieu des tables de la cafétéria, Théa sentait les regards des gens se poser vers eux deux. Et avant qu'elle ne puisse faire un geste, Camille l'attrapa par le bras, et l'entraîna à sa suite à l'extérieur du bâtiment, qui était d'un calme absolu. Théa réajusta rapidement sa robe, avant de s'adosser à son tour au mur face à Camille, attendant ses explications, qui ne tardèrent pas : « Je pensais que ça valait mieux. On allait jamais se revoir. C'était mieux ainsi... » Pardon ? Que ça valait mieux ainsi ? Très bien, alors, s'il pensait de cette façon, c'était son problème. DeWitt-Bukater n'était pas vraiment rancunière, cependant elle n'oubliait jamais lorsqu'on lui faisait un mal. Et en l'occurence, ce que Camille lui avait fait, elle le considérait comme un mal. Passer la plupart de ses journées avec une personne, et apprendre qu'il est parti comme ça du jour au lendemain, ce n'est pas forcément un grand bonheur. Surtout lorsqu'on est encore des enfants. A cette époque, Aislinn s'était sentie déboussolée, comme si on lui avait oté tous ses repères. Si lui estimait qu'il valait mieux comme ça, elle n'était pas du tout d'accord sur ce point. Détournant son regard de Guérin pour fixer un point invisible sur son côté droit, elle en profita pour répondre, non sans une once d'amertume dans la voix : « Ouais, en fait, tu t'en fichais quoi. »

Elle se demandait s'il était venu directement à Montréal après être parti, s'il avait vécu dix ans ici, mais ne posa pas la question. Elle mourrait d'envie de savoir également ce qu'il avait fait jusqu'à ce temps, ce qu'il étudiait à l'université, tout ce qui s'était passé dans sa vie, mais ne s'aventura pas. La façon dont se tenait Camille la destabilisait. Il semblait distant, sa mine était renfermée. Auparavant, elle pouvait aller lui passer le bras autour du cou sans soucis ; là elle n'oserait pas. On aurait dit un inconnu, ce qui était plutôt normal étant donné le temps écoulé depuis la dernière fois où ils s'étaient vu. Vrillant à nouveau son regard vers lui, et sans pouvoir s'en empêcher, Aislinn ajouta : « Tu ne t'es jamais dis que, même si l'on était que des enfants, que ça pouvait blesser le fait que tu sois parti comme ça, sans même me dire où tu allais ? ... Enfin bref, de toute façon, c'est inutile d'en parler à présent, tu l'as dis toi-même, ça valait mieux ainsi. » Il fallait que ça sorte.