Il faut encore que je parle de moi ? Je sais que je suis intéressante, mais quand même, vous pourriez avoir un minimum de respect et ne pas me poser toutes ces questions, vous ne croyez pas ? Vous avez de la chance que nous soyons au Canada et pas en Corée, là-bas, poser des questions privées et plus que mal vu. Un conseil, n’allez pas la pas, vous auriez du mal à vous y faire ! Mais soit.
Je suis née un 6 mai, en 1993, il faisait beau, d’après ce que mes parents m’ont raconté. Et les photos ne mentent pas, il y avait du soleil filtrant à travers la fenêtre de la chambre d’hôpital d’où j’ai vu le jour. Ou du moins de la chambre d’hôpital dans laquelle j’ai bu mon premier biberon. Je ne sais plus exactement, il faudrait redemander précision à ma mère. Ou peut-être que Cédric s’en souvient, bien que j’en doute, en raison de son âge. Enfin bref, je suis donc née en mai, un des plus beau mois de l’année, d’après moi !
Et puis, j’ai commencé à grandir, conservant mes cheveux blonds, mes yeux bleus et mon air angélique. Je ne posais aucun problèmes à mes parents, suivant l’exemple de mon frère, réel modèle à mes yeux, que je m’efforçais d’imiter dans la mesure du possible. Aujourd’hui, je vous rassure, je ne suis plus du tout comme lui. Vous imaginez ? Ressembler à un Dove ? Légèrement honteux, non ? Enfin, toujours est-il, que, plus jeune, j’adorais mon frère, et il m’adorait aussi. On était du genre à se chamailler, à rigoler ensemble, et il était toujours là pour moi, il me protégeait à l’école, il m’offrait des supers cadeaux à mon anniversaire… C’était cool de l’avoir comme frère. Je m’entendais bien avec mes parents aussi, étant donné que je ne leur posais pas de problèmes, que j’étais la petite dernière, j’ai toujours eu de la chance. Pas mal de cadeaux, pas mal d’avantages. Je ne crois pas qu’ils m’aient déjà punies, pour être honnête. Toutes les punitions « Va dormir sans manger » ou « Privée de dessert » ? Et bien je ne les ai jamais connues ! Il faut dire, j’étais franchement un modèle, sans vouloir me vanter. D’ailleurs, à l’heure actuelle, j’ai encore du mal à comprendre comment j’ai fait pour vivre toutes ces années en étant aussi… lisse. Plate. Prévisible. Oui, je crois que ce sont des adjectifs qui me décrivaient plutôt bien. On pourrait y rajouter studieuse, brillante, sérieuse aussi. Car en effet, jusqu’à l’année de mes 17 ans, je l’étais. Difficile à croire, je vous l’accorde, et pourtant ! J’étais l’élève lambda, qui rapportait des A+ et, plus tard, des 100 %. J’adorais les sciences, et plus spécialement la physique. Les questions soulevées dans cette matière étaient – et sont encore, je suppose- très intéressantes, et soulèvent des enjeux complexe. Pourquoi est-ce qu’une certaine loi et valable au niveau micro-, et macroscopique, mais dès que l’on passe dans un plus grand référentiel, elles ne fonctionnent plus ? Oui, je ne comprends pas non plus. Bref, quand j’étais petite, les sciences me passionnaient, j’avais même participé à certains de ces concours, mais je n’en ai jamais remporté aucun, malheureusement. Ou heureusement, je ne sais pas. Au moins, je ne suis pas cataloguée comme étant ‘espoir pour la physique quantique de demain’. Enfin bref. Ma vie fut donc d’un ennui et d’une monotonie phénoménale, bien que très heureuse, je ne dénie pas ça. Tout enfant pourrait rêver d’avoir mon enfance, je le conçois, je le comprends.

Mais tout commença à changer lorsque Roméo arriva.

Exactement, Roméo. Mon demi-frère. J’avais 13 ans quand il est arrivé, j’étais assez âgée pour comprendre ce que sa présence signifiait. Notre vie fit semblant de conserver son cours habituel, mais tout avait été bouleversé. Ce qui était compréhensible, lorsqu’un jeune de 15 ans arrive devant notre porte, limite bagage à la main et se déclarant être notre frère. A ça, la famille pseudo parfaite Gariépy ne l’avait pas vu venir. Je crois qu’il me considérait comme quelqu’un d’insignifiant, et pas intéressante. Il m’intriguait trop pour que je puisse lui en vouloir. Les réponses que je recevais par rapport à sa présence ne me satisfaisaient pas totalement, et elles ne le sont toujours pas actuellement, en fait. Mais je crois que certaines questions ne sont pas là pour être répondues. Ou du moins, pas par autre chose que par des réponses de facilités, n’ayant pour unique utilité que d’esquiver les véritables réponses. Et leurs problèmes. Mon père n’aimait pas les problèmes. Ma mère non plus. Cédric n’aimait pas Roméo. Roméo ne voulait pas vraiment être là. J’étais seule, face à mes trop nombreuses questions. Sans réponses. Je m’y suis faite.
Toujours est-il que, lorsqu’un nouveau membre de la famille arrive, tout est chamboulé. Surtout que Roméo ne faisait pas tout pour nous faciliter son intégration. Totalement aux antipodes de Cédric et moi, il était du genre rebelle, presque vicieux, et avec un très fort caractère. Du jamais vu, pour ainsi dire. Encore aujourd’hui, près de 5 ans plus tard, tout n’est pas huilé, et la vie de famille est dure. Et puis, j’ai commencé à y mettre du mien aussi, bien plus tard. Mais, à 13 ans, on s’adapte à beaucoup de chose, je me suis adaptée à mon nouveau frère. Demi-frère. Bref.

Et puis, il y eut Maxime. Et sa mort.
You meet thousands of people, and none of them really touch you-
Then you meet one person, and your life is changed. Forever.


Je ne sais plus exactement comment j’ai connu Maxime.
Tout de suite, il m’a intrigué. Il avait ce côté noir, mais ce faux air angélique. Totalement joué, et qui n’existait en aucune part de son caractère. Juste un de ses nombreux moyens pour manipuler les autres je crois. Moyen ingénieux, moyen que j’utilise à présent. J’ai appris parmi les meilleurs, il faut croire, puisque je me sors sans souci de presque toute situation. Mais revenons-en à Maxime. J’avais 16 ans et quelques mois quand je l’ai vu pour la première fois, et nos chemins continuèrent à se recroiser, jusqu’à un beau jour où nous devinrent un couple. Ce n’était pas réellement mon premier copain, mais c’était tout comme, mes expériences précédentes se limitant presque à se tenir la main. Mais j’exagère peut-être. Et je me perds. Je ne sais pas ce que Maxime me trouvait, mais il a commencé à m’ouvrir les yeux, et ses amis aussi. Si je conservais mon cercle d’amis initial, je commençais à connaitre d’autres personnes, et à fréquenter d’autres lieux. Mon frère ne voyait pas d’un bon œil ma relation avec Maxime, et je crois que Roméo s’en foutait complètement. Non pas que ce soit étonnant, il ne s’était jamais intéressé à moi. Et même si je fréquentais des personnes différentes, je restais égale à moi-même, toujours gentille, docile, naïve, ingénue. Cependant, mes expériences me transformaient, et je voyais le monde d’une manière différente. C’était intéressant, même si je ne les comprenais pas toujours. Pas souvent, même. C’était comme une ouverture dans un univers alternatif, brèche qui s’ouvrait peu à peu, prenant ses marques dans ma vie, avant que je ne bascule complètement dans cette nouvelle vie.
Ce changement total, brusque, n’eut qu’une cause réelle. C’était un soir, enfin, une nuit plutôt. J’étais sortie avec Maxime et sa bande, et tout a dégénéré. Je ne sais plus le pourquoi du comment, je ne veux même pas chercher à savoir. Mon inconscient a répressé cet épisode de ma vie, je crois. Le miracle de notre moi, sur moi, sous moi etc. Mais des images me sont encore restées. Brutales. Sombres. Amorties par tout un tas d’émotion. D’absence d’émotion. Une seule chose résonne encore dans mon esprit. Le bruit de la balle du policier qui s’échappa de son arme, avant de se ficher dans le corps de Maxime. Je me vois encore, penchée au-dessus de lui. Cheveux blonds se mêlant au sang qui s’échappait. Un pouls qui s’affaiblissait. Un dernier souffle. Et un regard terne. Maxime était mort. Une larme glissa sur mes joues. Une dernière. Un cri se mêla au bruit qui emplissait l’immeuble désaffecté. Je sentais des bras se glisser sous les miens, et puis tout devint noir. Des sirènes, de la lumière violente, et je me réveillais, le lendemain, ou quelques jours plus tard – j’avais perdu toute notion du temps. Maxime n’était plus là. J’avais 17 ans et 7 mois. Ma vie changea de tout au tout.


De là, tout a dégénéré.

Oubliée la gentille, la naive Delphine. Le changement fut comme la mort. Rapide. Imprévisible. Choquant. Oublié la physique, les maths et la biologie. Bonjour Beckett, Camus et Sartre. Comme ce dernier l’a si bien fait remarquer « l’Enfer, c’est les autres », et j’embrassais sa philosophie. Le seul sourire qui me restait était un sourire ironique, sarcastique. Je me plongeais dans les livres, et trouvait un intérêt inespéré dans des auteurs qui m’avaient auparavant laissé froide. Baudelaire, Hugo, Balzac… la littérature française me passionnait, et je déviais mon cursus pour m’orienter vers des cours plus littéraire. Je conservais des notes plus que correctes, contrairement à mon attitude qui se détériorait. Mon frère ne pus plus faire grand-chose pour me sauver, et je semblais attiser l’attention de Roméo, lorsqu’ils revenaient tous les deux à la maison. Je devenais plus rebelle, plus cruelle, et je n’en avais plus rien à faire des autres. Je ne trainais plus qu’avec des gens que je méprisais auparavant, je découvrais les bienfaits du shopping, des vêtements, du maquillage, et de mes chères lunettes de soleil. Je me créais une toute autre réputation, et une toute autre vie. J’oubliais ce qui s’était passé, et j’oubliais mon coté sage. Mes relations avec le sexe opposé se firent plus fréquentes, plus diverses, plus courte. Je ne me laissais pas faire. Je choisissais, je dirigeais le jeu. Ma vie n’est à présent qu’une succession d’épisodes plus ou moins vivant, jamais identiques. Je fus acceptée à McGill. Je m’apprête actuellement à y faire ma rentrée, à rencontrer de nouvelles personnes, faire d’autres expériences. Je suis libre, j’ai la vie devant moi.