J'avais amené Reksio chez le vétérinaire la veille. Le pauvre était un peu malade, j'avais dû l'y laisser pour la nuit... Je n'avais vraiment pas apprécié cette séparation, surtout que mon pauvre ami serait enfermé dans une cage tout ce temps ! J'avais du mal à l'imaginer derrière des barreaux, tel un prisonnier... Pourtant, c'était un animal très sage, forcément, il était mon meilleur ami à quatre pattes. Mais c'était le prix à payer pour être certain qu'aucune complication ne surgirait et que je pourrais le retrouver en pleine forme. Je savais très bien, pour en avoir soigner de bien nombreux, que les animaux, tout comme les hommes, pouvaient parfois avoir de graves problèmes de santé. Comme vous vous en doutez parfaitement, dès la première heure de l'aube, je me levais et me jetais littéralement dans la salle de bains. J'avais hâte de revoir mon chien et aucune autre tâche n'était plus précieuse et plus prioritaire que celle de se rendre chez le vétérinaire le plus tôt possible. Certaines personnes trouvaient que j'étais un peu trop « militaire » à ma façon de faire les choses de manière ponctuelle, mais ce n'était réellement qu'une simple impression, une première vue d'ensemble. En vérité, tout le monde sait que je suis lunatique et tête en l'air. Mes deux sœurs ne vous diront sans doute jamais le contraire, elles ne feront qu' étayer mes propos précédents.
Je me douchai rapidement, puis avalai quelques gorgées de chocolat chaud, avant de préparer mon sac. Je traînais ce sac partout, même lorsqu'il était vide. Encore une manie que personne n'aimait, pourtant je ne faisais de mal à personne, n'est-ce pas ?
« Viens Dawin ! » m'exclamai-je à l'attention de mon rat, âgé de même pas un an. Ce dernier leva la tête à l'entente de son nom, comprenant absolument le moindre de mes mots et coopérant au moindre de mes gestes. Pas question de le laisser seul dans la demeure... Souvent, je le lâchais dans le jardin, mais cela faisait longtemps que je ne l'avais pas pris en promenade avec moi. Après tout, je me rendais dans un endroit où les animaux étaient acceptés, voire même obligatoirement présents, non ? Je saisis Darwin d'une main, l'aidant à grimper le long de mon bras et à entrer dans ma capuche. C'était le meilleur moyen de se déplacer discrètement et sans danger... Je lui caressai doucement la tête et lui donnai un morceau de pain. Darwin mangeait de tout, parfois je devais même m'énerver à la voir fouiller dans la poubelle. J'avais peur qu'il tombe malade, ou bien qu'il n'engraisse de façon malsaine.
Je quittait ensuite la maison, fermant la porte d'entrée furtivement, afin que personne ne me maudisse de l'avoir réveillé ou ne se demande ce que je faisais si tôt. Enfin, de toute manière personne ne serait étonné, personne ne faisait attention à mes gestes. Des fois, je me demandais si les gens ne me prenaient pas pour un simple imbécile.

J'enfourchai mon vélo et, après avoir vérifié que Darwin était bien installé, je me lançai sur les chemins. Il ne me fallut pas très longtemps pour arriver au centre-ville, là où se trouvait le cabinet du vétérinaire où Reksio résidait. Arrêté à un feu rouge, je ne pus m'empêcher de caresser doucement le rat encore blotti dans ma capuche.
« On arrive bientôt, t'inquiète pas. » fis-je à son attention, ne remarquant pas que je connaissais, pour mon grand malheur, l'une des personnes traversant le passage piéton à cet instant. Elle, par contre, m'avait repéré.

J'étais tant aspiré par le fait que mon rat ne cessait de me lécher doucement le doigt que je ne m'aperçus pas du fait que le feu était passé au vert et qu'il était grand temps de reprendre la course. Ce fut à cet instant que je le remarquais, droit devant moi, un léger sourire sur les lèvres, comme s'il désirait m'inviter à une quelconque festivité. Festivité qui ne serait pas de mon goût, je m'en doutais car je n'avais jamais eu de bons souvenirs de lui. Je ne comprenais pas vraiment ce qu'il me voulait, mais rester en contact avec Camille était malsain pour moi, bien qu'il ne pense le contraire. Je déglutissais en l'observant, voyant qu'il n'avait décidément pas l'intention de me laisser traverser sereinement ce passage piéton... Je lui lançai un drôle de regard. J'aurais bien aimé que ce soit un regard noir, mais je ne savais pas vraiment montrer de la haine envers les autres... Du moins, pas de cette manière, impossible pour moi de le faire sentir rien que par un simple regard.

« Je t'en prie, je voudrais passer. » finis-je par déclarer d'une voix intimidée. Je ne lui répondais jamais ou très peu. Je n'osais pas, car il était vrai que ce garçon m'intimidait grandement. J'avais peur car je ne savais pas prédire ses réactions, même en passant longtemps à l'observer.
Des conducteurs pressés commençaient à s'impatienter et le faisaient ressentir de part leurs klaxons alors que je continuais à observer Camille, remontant ma capuche afin de l'empêcher d'apercevoir Darwin. Il pouvait bien me faire du mal, mais jamais il n'en ferait à mes amis. Et mon rat était l'un de mes meilleurs amis. Certaines personnes trouvent mon attachement aux animaux malsain, mais moi je les préfèrerais toujours de loin aux hommes... J'avais sans cesse l'impression que les êtres humains ne savent jamais rendre toute la joie que l'on est susceptibles de leur offrir. Les représentants de la faune, quant à eux, le font pour la plupart à merveille.

Camille m'indiqua un parc non loin de la route, m'invitant à l'y rejoindre. Je n'étais pas du tout serein à cette idée, mais voyant que mon indécision continuait de perturber la circulation et que je risquais gros à rester dans le coin, je descendais de ma bicyclette et saisissait Darwin pour le mettre dans la poche de mon sweat à capuche. Il serait encore mieux dans cet endroit... « Tais-toi, Wiwin, et reste là... » lui soufflai-je délicatement, sachant que mon guide, marchant non loin devant moi, ne m'avait pas entendu. Je tenais mon vélo par le guidon afin de le conduire à mes côtés. Et enfin, j'arrivai à proximité de Camille, lui lançant de nouveau un étrange regard.

« Bon, dis-moi ce que tu veux, j'ai pas le temps, un ami m'attend. » Bien évidemment, je parlais de Reksio. Ma voix n'était pas forte, car, comme d'habitude, j'étais incapable de lui tenir tête. J'espérais juste que cette entrevue ne me mettrait pas dans un sacré pétrin.

Spoiler:

Je laissai mon vélo appuyé contre un mur, au cas où j'aurais besoin de mes mains pour me défendre. Je n'étais pas bagarreur pour un sou et Camille n'avait jamais été jusqu'à me frapper violemment, mais je préférais être prudent. Ce type était vraiment imprévisible. Et dire qu'il osait annoncer qu'il faisait tout cela pour mon bien, pour m'aider. Et bien, je devais avouer qu'une aide pareille n'était aucunement la bienvenue. Au contraire. Je soutenais son regard, afin de ne pas lui montrer à quel point j'étais intimidé, mais il le savait très bien. Un point en moins pour moi.
« Je vais très bien et j'espère juste que tu ne vas pas encore me gâcher la journée. »
J'aurais dû ne pas le suivre. Mais j'étais faible et c'était la triste vérité. Personne n'oserait affirmer le contraire : Bogdan Driomov est un pacifiste qui ne songe même pas au mal qui l'entoure. Tout ce que je désirais, c'était qu'il m'explique une bonne fois pour toute où il voulait en venir et ce que j'avais bien pu faire pour mériter son attention si particulière.
Puis il me posa une question. Une étonnante question qu'il me posait presque à chacune de nos rencontre. Avais-je bien appris ma leçon ? Je ne voyais pas de quoi il parlait. En fait, je faisais semblant de ne pas savoir. Je bégayais, je paniquais. Mais cette fois-ci, ce fut sur un ton calme que je posais le jeu.
« Je n'ai aucune leçon à recevoir de toi. »
Mon ton avait été froid. J'avais peur de lui, comme toujours, mais je n'étais plus un enfant. S'il voulait me faire du mal ou m'enseigner quelque chose, qu'il le fasse, mais vite et bien pour que je puisse retrouver Reksio.