Dis Mitia… est-ce que c’est grave de toujours en vouloir plus ?On perçoit souvent ces gens comme étant des personnes égoïstes, mais j’ai plutôt l’impression de ne pas savoir ce que je veux. Comme tu le sais, depuis un moment ma sœur Katia planifie ses études au Canada… Pourquoi est-ce que je ne peux pas en faire autant ? Pourquoi suis-je forcée de restée dans mon propre univers ? Elle a toujours été un modèle pour moi… tu le sais ça ? Elle est blonde aux yeux bleus, une fille magnifique… grande avec de longues jambes, lèvres pulpeuses, mince avec des formes juste aux bons endroits. Par-dessus tout, elle a la chance de connaître ses vrais parents. Ne sait-tu pas à quel point j’aimerais avoir eu la chance de connaître les miens ? Qu’on me dise « mais qu’est-ce que tu ressembles à ton père ! » ou que ma mère me raconte l’accouchement et comment elle était contente de m’avoir. Katia a eu cette chance, or, Bogdan et moi, sommes moins verni. Heureusement que j’ai mon frère… Dans cette grande maison je me sens beaucoup moins seule, à être « l’étrangère ». Parfois, même si je le trouve un peu étrange, j’ai l’impression qu’on peut vraiment communiquer et compter sur lui.
Tu sais, depuis ton départ, t’as manqué pas mal de chose… J’ai commencé à fumer… Garde ta salive, je sais ce que tu vas me dire : Ta mère va te tuer, c’est mauvais pour la santé, tu veux crever ? Je me souviens encore de ces mêmes mots que tu répétais sans cesse à ton frère… Si t’étais là, j’suis sûre que j’y serais passé aussi et j’aurais été obligée de te rappeler ces bons souvenirs du camp d’été pour acheter ton silence. Parce que toute magie vient avec un prix, n’est-ce pas ?
Pourquoi est-ce que c’est toi qui est parti, mais que c’est moi le fantôme ? C’est embêtant… parce que je vis, je vois, j’entends, j’respire et je sens. Mais je vois le verre à moitié vide plutôt qu’à moitié plein… Ma présence est inutile, mais ça personne ne semble s’en rendre compte. À qui veut-tu que j’en parle, de toute façon ? Quand t’étais là, ma vie semblait avoir un sens… les nombreux vendredis soir qu’on passait à l’arcade à jouer au pinball, ce petit luncheonette qu’on squattait tous les mercredis midi avec la bande, les dimanches matins DVD… pourquoi est-ce que j’ai perdu ma routine ? Où est-ce que j’ai déraillé ?
J’aurais dû regarder ailleurs, j’aurais simplement dû l’ignorer. Le problème, ne peut pas être plus loin que dans mon crâne. On dit d’arrêter d’écouter notre tête et de suivre notre cœur… mais les sentiments, ils proviennent tous de là-haut.
Mitia, existe-t-il vraiment un moment idéal où tu peux regarder la personne qui hante tes pensées, tes rêves... et te dire qu’il est finalement temps de lâcher prise ? que puis-je dire ? il n’y a rien à dire… Tu as toujours été là pour veiller sur moi. Tu me connais mieux que quiconque… alors
pourquoi ?
Ce soir-là tu m’as raccompagné chez moi, un soir de pluie si je ne m’abuse. Ma porte était verrouillée à clé, personne n’était à la maison. Gentiment, tu m’as invité chez toi. J’étais trempée, tu m’as proposé de retirer mes vêtements… « Après tout, t’es comme une sœur pour moi, aucune arrière-pensée » disais-tu. Je t’ai cru. J’ai retiré mes vêtements un par un, en ayant la décence de garder mes sous-vêtements… Avais-tu mis un peu trop de rhum dans ton café ? Ou peut-être as-tu simplement oublié que j’étais comme une sœur pour toi… Ce fut une nuit magique, inoubliable. Pour moi.
Juste, pour moi.« Bon matin. »
« Euh, qu’est-ce que tu fous ? »
« Comment ça, qu’est-ce que je fous… ? »
Tu ne te rappelais visiblement pas de la nuit dernière, me suis-je dis. Jusqu’à ce qu’un petit sourire narquois se dessine sur ton beau visage. On s’est mis à rire… comme ça. Sans communiquer plus. Avec toi, c’était tellement facile. On n’avait pas besoin de mots pour se comprendre…
Tu t’es arrêté de rire et tu m’as regardé… ton regard était si brillant : quelque chose avait changé. Ce petit quelque chose aurait pu me rendre heureuse, mais j’étais si jeune et si indépendante. Tu t’es rapproché, tu m’as pris dans tes bras… Je me rappelle encore du frisson qui m’a parcouru le dos, celui qui a atteint mes joues, le même qui m’a affaiblie. Tu me serrais contre toi et soudainement j’ai senti quelque chose qui n’allait pas.
« Je t'aime, Mila. »
Silence radio. Je vois encore le tableau, Mitia. Le cadran qui tourne à 10:02, je ferme les yeux et la seule chose qui se faisait entendre était ce stupide robinet qui coule. Mon cœur battait fort, je t’ai repoussé.
« Non, c'est pas vrai. »
J’avais peur de te perdre… Te perdre toi. Dimitri, mon meilleur ami, celui d’ont j’étais désespérément amoureuse. J’avais peur de connaître un autre Mitia, celui où je pourrais tenir la main sans qu’il ne me repousse, celui qui m’aime autant que je l’aime…
Je suis désolée Mitia. Je n’ai pas voulu te tuer. Parce que même si on me dit que je ne suis pas responsable, je me sens toujours un peu coupable quand même… Je t’ai perdu, pour la vie. T’as pris ta veste, tu t’es habillé et t’es parti. J’étais toute seule dans ton appartement… seule et inconsolable. Où est-ce que j’ai déraillée, Mitia ? C’est là. Je dois arrêter de chercher quand la réponse est juste sous mon nez. Je ne voulais pas perdre mon meilleur ami, eh bien je t’ai perdu de toutes les façons. C’était en Novembre, tu te souviens ? La première neige sur Moscou. Dimanche le 12 Novembre 2006, ta voiture a glissée sur la chaussée et terminé contre un arbre. Tu te rappelles comment tu m’as toujours dit que tu voulais mourir d’une façon comique, ou impressionnante ? Mon gars, ta voiture a fait craquer l’arbre, mais un putain de gros arbre. J’crois même que t’as sauvé un chat…
Alors pour te donner de mes nouvelles… Je vais bien. Du moins, je survis ! J’ai déménagée au Canada avec mon frère, pour rejoindre ma sœur Katia, qui elle à la base est venue que pour Vadka. Bref, nous avons emménagés tous les trois dans cette grande Villa… Le sous-sol appartenant à Bogdan, alors que le rez-de-chaussée et le premier est totalement pour Katia et moi. Deux étages de fille, je vous assure. Aucun garçon n’est permis ! Sauf Vadim bien sûr, mais bon on s'habitue à sa présence à force.
C’est ma première année à McGill et je me sens plutôt stressée. Apparemment l’université est différent que le Cégep… Je sais que je vais aimer mon domaine, parce que je me souviens encore de la raison pour laquelle je voulais être infirmière… Je sais que je t’aime et je sais que je veux prendre soin des autres personnes que j’aime, pour qu’une telle chose ne se reproduise pas deux fois.
Tu es parti en ne laissant rien derrière toi, rien d’autres que des souvenirs.
Avec amour,
ta meilleure amie Milka.